Entreprise et cultures
De l’interculturalisme comme incompétence managériale.
L’organisation des collectifs, publics ou privés, professionnels ou autres, est taraudée par la question des modalités de co-existence d’individus différents dans leurs origines, leurs préférences, leurs motivations... Cette hétérogénéité constitue vraisemblablement la matière essentielle dans laquelle se forment les difficultés que peuvent rencontrer ces collectifs et renvoie à l’interrogation fondamentale: comment faire unité de toutes les différences sans pour autant gommer ces différences ?
Les approches mobilisant le thème de la culture sont très présentes actuellement dans cette perspective et plus particulièrement dans le cadre du management. Celui-ci développe une pléthore de recherches, de pratiques, de formations... consacrées aux rôles des cultures, le plus souvent nationales, dans la constitution, le renforcement ou encore la destruction des collectifs. L’initiative est bien sûr tout à fait positive car elle contribue à renforcer l’épais- seur anthropologique d’une discipline, le management, qui pourrait courir le risque d’une approche uniquement technique. Hélas, on a souvent l’impression que la culture est ici ré- duite et simplifiée à tel point que, quelquefois, on peut se demander si ce thème n’a pas plus dégradé le management que le contraire. En effet, la culture est souvent ramenée à un tout petit ensemble de caractéristiques qui détermineraient les comportements des personnes (ex: le rapport à l’autorité, l’individualisme...). Elle est aussi fréquemment uniquement associée au pays d’origine, ignorant les autres cultures comme les cultures professionnelles, les cultures liées au niveau économiques... et donc l’enchevêtrement de ces dernières. La modalité d’action de la culture sur le comportement des personnes est en outre particuliè- rement ignorée: comment chaque individu fait-il sens d’un événement avec sa culture, avec son esprit critique, avec sa fatigue... Y a-t-il un déterminisme total de la culture ? Quelle est la nature de cet impact, s’il existe ?
Parmi les risques de cette simplification, on peut noter d’une part celui, éthique, d’attri- bution a priori de caractéristiques dites «culturelles» à des individus de tel ou tel groupe ethnique. Ainsi les Suisses seraient comme ceci ou comme cela; les jeunes se comporteraient a priori comme de telle manière... Or, cette attribution a priori peut facilement basculer dans une sorte de racisme ou de nationalisme larvaire particulièrement odieux, résumant un individu à son appartenance ethnique et lui associant de manière simplistique des caractéristiques génériques. Cela se fait en général en accompagnant ce processus d’une rhétorique bien-pensante du type «il faut respecter les cultures et donc accepter le fait que les membres de tel groupe ethnique ont tel comportement culturel». Cette réthorique fige l’attribution a priori et institutionnalise donc le «racisme quotidien» de cet interculturalisme.