D ans la mondialisation, la mobilité internationale des managers devient, pour les entreprises, un enjeu capital.

Elle questionne, en des termes nouveaux, la gestion des ressources humaines et la production de valeur en contexte multiculturel.
Comment se prépare la vie à l’étranger, comment se fonde la réussite professionnelle et quel est le devenir de cette expérience de l’expatriation, au retour, pour l’homme dépaysé et sa famille ? Quelles conséquences sur le processus de construction de son identité ? Sur les « stratégies identitaires » déployées ? Selon des modalités qui diffèrent de celles des travailleurs immigrés ou des réfugiés, les managers internationaux vivent en effet l’épreuve du « choc culturel » selon différentes modalités, différentes stratégies de l’identité. Comment comprendre, par exemple, la capacité à relier culture d’origine, culture d’entreprise et culture métier de cet expert-comptable anglais, né en Inde, marié à une jeune femme indonésienne, et recruté aux Etats-Unis pour le compte de la filiale d’un groupe industriel français qui se définit comme « mondial » ?
Zygmunt Bauman (2003) a raison d’écrire que l’on pense à l’identité « chaque fois que l’on ne sait pas vraiment où l’on est chez soi ». Selon des modalités qui diffèrent de celles des travailleurs immigrés, des réfugiés et des « sans-papiers », les managers internationaux vivent l’épreuve du « choc culturel » alors que, cosmopolites et hautement qualifiés, ils découvrent le monde en étant à leur tour découverts en leurs différences. Nos travaux analysent, d’un point de vue sociologique, les conséquences entraînées par l’expérience renouvelée de la mobilité internationale en entreprise sur la construction identitaire des managers. Le double mouvement par lequel ces individus continuent à s'approprier l'esprit de la communauté à laquelle ils appartiennent et, en même temps, s'identifient à des rôles professionnels en apprenant à les jouer de manière personnelle et efficace hors de leur contexte culturel d'origine est un objet d'étude sociologique fécond mais encore peu étudié.

Comment analyser les trajectoires sociales dans une perspective qui prenne en compte le poids des déterminismes socioculturels, les enjeux psychiques inconscients et la dynamique de construction identitaire du sujet ?

Dans une perspective délibérément constructiviste, entre “ culture reçue ” et “ culture vécue ”, nos travaux militent pour reconnaître l’importance des phénomènes de dissonances culturelles et ethniques qui, à côté des classes sociales, de l’âge, du sexe ou de la place dans le processus de production, structurent l’identité de nouveaux acteurs cosmopolites. Nos travaux démontrent que les manières de vivre la confrontation interculturelle de ces managers dépendent d’une diversité de processus cumulatifs, liés aux capacités de négociation du sujet-travailleur dans l’organisation (“ atout pouvoir ”), aux ressources détenues dans la communauté d’origine (“ atout communautaire ”) ainsi qu’à celles détenues dans le contexte de la famille (“ atout familial ”).
Les individus ne sont pas nécessairement écrasés par l’automatisme réglementaire et les statuts assignés qui s’abattent sur eux. Ils peuvent essayer de partiellement contrôler, au travers de stratégies identitaires, la désignation sociale dont ils sont objets.

Quel est le « vécu » empirique des sociétés pluralistes dans lequel l’on pourrait être situé mais étonnamment aussi, participer de plusieurs mondes sociaux, plusieurs langues, plusieurs activités professionnelles ?

Quel renouveau heuristique proposer pour ne plus étudier la mobilité géographique à partir des seuls critères territoriaux (de l’État-nation) mais repenser le territoire à partir de l’expérience « rhizomatique » des personnes mobiles ?
La globalisation est souvent associée à l’idée d’homogène, de village global. Il y a, dans la plupart des recherches en management interculturel, une disqualification du trajet, de l’itinérance au profit de ce qui est stable, permanent. On y évoque peu les passages individuels d’une forme culturelle à une autre, ce qui participerait d’une « trajectographie », pour reprendre l’expression de Paul Virilio.
Pour aborder la question de la mobilité des managers et des conséquences sur la construction de leurs identités, un détour par la sociologie, puis par d’autres disciplines comme la psychologie et aujourd’hui la philosophie avec l’étude des notions d’identité narrative et de reconnaissance, nous apparait comme le chemin le plus court pour comprendre un monde de l’entreprise et du travail qui est immédiatement peu compréhensible avec le seul recours des sciences de gestion.

L’ambition de notre travail de chercheur est de proposer un cadre théorique renouvelé en management interculturel autour de l’opérationnalisation de deux concepts trop souvent pensés séparément : l’identité et la culture. Associer identité et culture consiste à reconnaître l’existence de deux déterminations consubstantielles qui permettent à l’acteur humain de faire sens : « la logique relationnelle et la logique d'appartenance qui opèrent l'une sur l'idée de réseau, l'autre sur celle de structure et de code » .

Si de plus en plus de personnes travaillent dans une langue et, par extension, dans « un référentiel de sens », vivent en famille dans un autre et cultivent des amitiés dans un troisième… ; quelle saisie des variations intra-individuelles, quelle théorie de l'action et de l'acteur peut-on édifier pour rendre raison des pratiques au sein d'un monde social hautement différencié, qui fait que le même individu n’est pas tout à fait le « même » dans les différents domaines ou sous-domaines de la vie sociale ?

Chaque personne humaine est une discontinuité qualitative, capable de se dégager, pour une part, d’un héritage culturel - que celui-ci soit national, professionnel - et d’adopter, par retour sur soi, des attitudes et des comportements à partir d’une conjugaison de facteurs à la fois internes et externes à lui-même. Si la culture ne se résume pas à un flux continu, Alfred Schütz avait insisté sur « l’irréversibilité de la temporalité interne » d’un être qui fait que l’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ou que la route qui conduit de Paris à Chartres n’a pas le même relief que celle qui mène de Chartres à Paris.

Face à la recherche d’un appareil théorique généralisable de l’action pouvant contribuer plus largement, au domaine des recherches interculturelles, nous proposons d’explorer cette probable complexité dispositionnelle d’un individu par rapport à la diversité des domaines de pratiques ou des scènes d’action .

Nous parlerons alors de phénomène d’« interculturation » pour asseoir une définition sémiotique de la culture et se défaire de toute forme d'explication causale unique, qu'elle soit psychologique, structurale ou sociale. Pour fonder une double critique (ni agent automate tout entier déterminé par un jeu de forces extérieures, ni « esprit génial » qui s’émancipe de ses déterminismes), nous en appelons aux philosophies dites du devenir, depuis les multiplicités de Henri Bergson à la figure du rhizome de Gilles Deleuze et Félix Guattari, depuis les individualisations impersonnelles de Gibert Simondon à la notion de relation de Edouard Glissant. Ces travaux sont encore peu mobilisés dans le cadre des recherches dites interculturelles dans les champs du travail et nous pensons nécessaire d’intégrer dans notre vocabulaire de chercheur en management interculturel, les notions d’intersubjectivité, de résonance interne, de potentiel énergétique, d’ordres de « grandeur » et de rhizome .
Dans cette vidéo, filmée avec Frédéric Aunis, spécialiste du changement, nous soulignons les compétences culturelles à l'oeuvre quand il s'agit de s'expatrier. De nouvelles formes de mobilité apparaissent : impatriations, équipes virtuelles et projets, raccourcissement des durées de mobilités...
Dans cette vidéo, avec Frédéric Aunis, nous cernons certains des enjeux humains de la mobilité internationale et contestons la notion souvent simpliste de "choc culturel". Derrière l'injonction à être mobile se cachent des enjeux souvent tues et des bricolages à l'oeuvre que le management interculturel se doit d'éclairer.
Dans cette vidéo, tournée avec le Docteur Franck Scola, nous lions stratégies identitaires et aspects de santé, comportements à l'étranger et perspectives médicales.
Dans cette vidéo, nous pointons certains des enjeux identitaires des trajectoires expatriées. Nous déclinons cinq stratégies identitaires de personnes mobiles : Conservateurs, Opportunistes, Transnationaux, Défensifs et Convertis. Ces stratégies fondent une part essentielle de notre travail de recherche sur la mobilité internationale.

Ouvrages de Philippe Pierre sur ce champ de recherche :

  • Philippe PIERRE, « La socialisation des cadres internationaux dans l’entreprise mondialisée. L’exemple d’un groupe pétrolier français », Thèse pour le Doctorat de sociologie de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Sous la direction du Professeur Renaud SAINSAULIEU, Mention Très Honorable / Félicitations du Jury à l’Unanimité, Mai 2000. Retrouvez le résumé de la thèse, l'introduction générale et le rapport du jury.

Contributions à ouvrages sur ce champ de recherche :

  • Philippe PIERRE, « Le gestionnaire international », in Sous la Direction de Jean-François CHANLAT, Eduardo DAVEL et Jean-Pierre DUPUIS, Gestion en contexte interculturel, Teluq – Presses de l’Université de Laval, Canada, 2008.
  • Philippe PIERRE, « The International Manager », Jean-François CHANLAT, Eduardo DAVEL et Jean-Pierre DUPUIS, Cross-cultural management. Culture and Management across the World, Routledge, 2013.
  • Pierre-Robert CLOET et Philippe PIERRE, « L’Homme mondialisé aujourd’hui », Elisabeth NAVARRO et Jean-Michel BENAYOUN, Langue et diversité(s). Quelles stratégies interculturelles pour demain ?, Michel Houdiard Editeur, 2017.

Publications dans des revues à Comités de lecture sur ce champ de recherche :

  • Philippe PIERRE, « Mobilité internationale et identités. Cadres cosmopolites à la frontière de leurs cultures », L’Autre. Cliniques, Cultures et Sociétés, numéro 9, volume 3, 2002.
  • Philippe PIERRE, « La socialisation des cadres internationaux. Stratégies identitaires et mobilisation de l’ethnicité », Gestion, HEC Montréal, Volume 27, numéro 1, Printemps 2002.
  • Philippe PIERRE, « Les élites de la mondialisation. Quelles constructions identitaires ? », Education Permanente, n°150, 2002.
  • Philippe PIERRE, « Mondialisation et identités. La question des cadres internationaux en entreprise », Critique économique, Maroc, 2003.
  • Philippe PIERRE, « Mondialisation et constructions identitaires de cadres de l’industrie pétrolière », Revue Française de Gestion,numéro 148, volume 30, 2004.
  • Philippe PIERRE, « Des relations inter-ethniques dans l’entreprise mondialisée ? Mobilité internationale, identités narratives et identités personnelles de cadres du secteur pétrolier », Cahiers du CERIEM, Université de Haute-Bretagne, Rennes II, GDR « Migrations internationales et relations inter-ethniques » du CNRS, 2004.
  • Philippe PIERRE, « Une internationale des cadres ou des cadres internationaux ? », Management International, HEC Montréal, numéro 3, volume 8, 2004.
  • Philippe PIERRE, « Réflexions sur la construction de l'identité de cadres industriels à l'épreuve de la mobilité internationale », Revue des Sciences de Gestion, 2006.
  • Philippe PIERRE et Aude SEURRAT, « Itinéraires de vies et fables identitaires des cadres mobiles à l’étranger », Le Croquant, n°51/52, avril 2007.

Ressources sur le thème de la mobilité internationale : 

Dans cette vidéo, Chantal Jaquet et Gérard Bras, respectivement Philosophe, professeur à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et ancien directeur de programme au Collège International de Philosophie et professeur de philosophie en Première Supérieure, dans le cadre de leur livre "La fabrique des transclasses".

Comment est vécu le changement de classe sociale dans une double exigence de fidélité et d'appartenance ? Ils parlent de "complexion" comme manière de nouer différentes configurations en cause dans la construction identitaire. Ils pensent, à raison, que l'étude des "transclasses" est un point d'observation précieux de la société contemporaine.

Leurs travaux recoupent le projet du sociologue N. Alter qui a écrit qu’il "s’agit (désormais) de faire une sociologie de l’entre-deux..." Entre deux cultures nationales, quotidiennement entre deux villes, entre deux traditions familiales, entre deux systèmes de rôles professionnels selon les lieux et les interlocuteurs…
Marcel Proust a écrit que "le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux". Dans cette vidéo sur l'Inde et New Delhi baptisée "Vivre, investir, s'expatrier - 24 Heures Chrono de l'international 2019" est questionnée la notion d'intégration à l'étranger.

Les témoignages soulignent les enjeux familiaux de la mobilité et la nécessité d'une préparation qui ne se limite pas à des données géographiques, politiques ou sociales sur le pays que l'on rejoint.

Savoir s'étonner à propos est bien le premier pas à faire sur la route de la découverte et la vie à l'étranger est l'occasion de se (re)découvrir dans ses propres fonctionnements et ses habitudes de vie.

La perspective d'équipes déspatialisées renouvelle les catégories traditionnelles de la mobilité "physique" internationale.

Dans cette vidéo est présentée une nouvelle façon de travailler, en "remote". 65 % des Français travaillant dans un bureau seraient intéressés par le télé-travail.

Dans cette vidéo, on peut entendre que "travailler en "remote" nécessite bien plus qu'une bonne connection". Nous nommons ce "plus" le continent à explorer des compétences interculturelles.
Dans cette vidéo, est expliqué ce que le travail "en remote" et "en full remote" sous-entend. Un panorama est brossé des équipes qui fonctionnent à distance.

La notion d'équilibre entre vie(s) personnelle(s) et vie(s) professionnelle(s) est discutée. Cette vidéo illustre les ressorts de motivation et les types de fonctionnement d'équipes à distance.

Les notions de confiance et d'indépendance sont soulignées et progressivement s'établit, dans cette vidéo, un contraste entre anciennes et nouvelles manières de travailler. Comment échapper à une injustice entre sédentaires rivés à un travail physique localisé et mobiles pouvant choisir leurs lieux de travail ?