Miscellanées 3

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M iscellanées est le nom donné à une composition de textes divers, de fragments « mélangés » sans souci systématique d'unité. Nous rassemblons, dans ce qui suit, nos coups de coeur, nos textes ou entretiens rares, nos convictions...

Bonne navigation !

Un DRH est utile à quoi dans une PME ?

Par Philippe Pierre, www.philippepierre.com 

A beaucoup.

Brossons un paysage général de ses responsabilités ! Je souhaite partager avec vous ici quelques convictions en matière de développement humain et de création d’un poste dédié.

Un DRH à temps partagé est une bonne solution pour permettre au chef d'entreprise de faire intervenir un spécialiste sur une mission ponctuelle, confronter avec lui ses convictions et profiter d’une oreille attentive.

Mais quand s’accroit la taille de l’entreprise, les besoins d’accompagnement et de coordination, décision est prise de recruter un DRH à temps plein.

It’s time to DRH ! Pour repenser les transformations numériques à venir, pour parer aux bourdes juridiques, pour concrétiser une politique QVT ou RSE, pour exploiter autrement des gisements de créativité, pour aider à fidéliser celles et ceux qui le méritent plus que les autres…

Nous pointons ici six enjeux pour bien identifier votre DRH et agir ensemble efficacement !

• 1, Un DRH a le courage de dire et, pour cela, il est capable de « s’étonner volontairement » !

- Il sait dire à l’autre (le collègue, le pair, le n+1) quelque chose d’utile qu’il n’a pas envie d’entendre sur lui !

- Il fait reprendre de la lucidité alors que s’accumule contrats à éplucher et coups de fil à passer ;

- Il aide à ne pas « sur-réagir » ;

- Il dit « non » fréquemment à l’équipe dirigeante pour la faire changer d’avis opportunément. Un DRH est la femme ou l’homme des « souhaitables », c’est à dire des décisions, actions et événements jugés comme nécessaires et utiles pour l’entreprise mais que l’on pas envie de prendre ;

- Il fait rencontrer à l’équipe dirigeante, à intervalles réguliers, des profils non conventionnels que l’on dit atypiques, pas « comme nous » ;

- Il enseigne quelques jours par an auprès de publics différents de ceux de l’entreprise, apprend de cercles associatifs de quartier ou humanitaires... Au final, un DRH se confronte à des publics qui ne l’attendent pas forcément, pour se découvrir lui-même, élargir son regard, s’habituer à cette dimension interculturelle qui est une démarche « d’étonnement volontaire ». Un DRH ne néglige pas non plus la participation à des jurys d’alternance et à des concours d’entrée d’écoles. Les lois de la démographie sont implacables avec les jeunes : ils arrivent ! Autant les connaitre… dans leur diversité.

• 2, Un DRH préfère l’équité à l’égalitarisme !

- Il ne ferme pas les yeux sur le mal-être des équipes et pratique la médiation si cela est nécessaire. Il est présent. Il n’y pas que la nature qui a horreur du vide … les salariés aussi ;

- Il remet dans le jeu des personnes victimes de SPFVP (Sentiment précoce de fin de vie professionnelle) qui s’auto-censurent alors qu’elles font bien « tourner la boutique » mais avec grande discrétion ;

- Il pointe la sous-performance quand elle est là car dans une PME tout se voit et tout s’entend de façon démultipliée. Tout est « stratégique » en PME et surtout l’absence de décision qui fait fuir ailleurs les meilleurs d’entre nous ;

- Il se met en situation de rebattre les cartes, de ne pas considérer quelqu’un comme une « personne talentueuse » tout au long de sa vie professionnelle si elle l’a été un temps mais l’évalue au plus près de ses performances tout au long de son parcours ;

- Il identifie aussi les talents cachés dans les équipes en mettant les personnes dans des environnements apprenants qu’il n’ont pas forcément choisi ; On fait grandir en posant un « cap » et un « cadre », en clarifiant le « pourquoi » et le « comment on fait ». Un DRH est une personne qui sait qu’avec les salariés les plus prometteurs ou les plus talentueux, ce qui manque souvent est la contrainte posée qui fait grandir. Le mur de rebond. Patient et attentif.

Dans les petites entreprises, c'est souvent le directeur administratif, ou le directeur général / gérant, qui s'occupe du quotidien de l'administration du personnel et fait office de DRH sans avoir été formé pour cela. Mais un moment vient où il faut changer de braquet et apprendre à partager les décisions en matière de promotion, de rémunération et même de gouvernance. Être équitable, c’est savoir définir des priorités. Le DRH aide à la mise en place d’un fonctionnement en mode « Co-Dir » et à la cascade des responsabilités qui en découlent. Il est garant de l’alignement entre ce que l’on affiche, ce que l’on fait vraiment et ce que les salariés ressentent parfois comme injuste ou impossible à faire. La communication interne se dillue et ne descend plus jusqu’à tous nos collaborateurs. Danger !

• 3, Un DRH se connait dans ses fonctionnements et sait expliquer aux autres son « mode d’emploi » !

Il sait répondre à la question : quelles sont les cinq choses sur lesquelles, dans la vie, je ne transige pas ?

Un conseil ? Poser sur un papier ces valeurs, principes, modes d’action sur lesquels on ne transige pas et y revenir régulièrement. Les confronter à des personnes de confiance. Ce sont nos points d’ancrage. Car ils sont une chance que l’on se donne à soi de mieux décider. Et plus il y a urgence, plus il faut « prendre le temps de prendre le temps ». Plus que quiconque, un DRH fait l’expérience d’un soi qui se construit dans la relation aux autres. Il sait qu’on ne peut pas en vouloir à quelqu’un de ne pas bien travailler avec nous si on n’a pas pris le temps de lui expliquer ce que l’on attend. Ce sur quoi on ne transige pas.

• 4, Un DRH aide à créer un cadre culturel commun avec des personnes recrutées qui ne cessent de discuter des principes établis et des règles habituelles !

Un DRH a la connaissance de la réglementation juridique et sociale de l'entreprise, ou encore de la convention collective. C’est la base. Mais un DRH est surtout une personne qui ne cesse de mesurer des écarts, des lacunes, des interstices : écarts entre le prescrit et le vécu, entre la portée générale d’une politique, qu’il se doit aussi d’incarner et de faire partager, et la diffraction des réalités vécues, des perceptions individuelles tout autour de lui. Un DRH ne cesse de gérer la jurisprudence et des cas singuliers. Pas la loi de portée générale. Laissons cela aux manuels de gestion.

Un DRH est désireux d’aider à la prise de décision après un processus de clarification des fins données à l’action (par la pratique de l’entretien de face-à-face, de groupes d’expression, par celle aussi, temporaire, de tiers intervenants comme le consultant en organisation ou encore le coach...). Il maitrise ces techniques d’approche du réel et de l’humain.

Il doit sans cesse proposer aux individus de sortir d’un état routinier, chercher à les rendre capables de problématiser leurs situations dans un jeu de lucidités croisées. Le DRH pratique le faisceau d’indice. Il enquête.

Quand il est appelé à licencier, à conclure un accord avec des partenaires sociaux, à co-concevoir des outils et des méthodes de gestion, à négocier des situations critiques, controversées ou conflictuelles, à identifier et évaluer les conséquences juridiques et sociales d’un problème posé, à évaluer des compétences personnelles au travers d’entretiens, à prévoir, coordonner et organiser les activités de plusieurs équipes, la question qui se pose au DRH revient à savoir comment opérer des jugements synthétiques en intime conviction avant d’agir. Et comment accumuler le plus grand nombre de « rapports possibles » produits par les acteurs eux-mêmes afin d’agir au plus juste ? Un outil à connaitre : Dessiner son sociogramme ! Identifier les réseaux informels sur lesquels on peut compter, nos personnes ressources et nos personnes relais.

• 5, Un DRH n’a pas de recette miracle mais explore l’organisation et associe les forces !

L’important n’est pas de proposer un « juste » modèle de changement ou d’organisation mais d’accompagner les salariés formés à resituer constamment le sens de leurs actions en leur donnant le « pouvoir d’être eux-mêmes » et d’assumer leurs identités professionnelles .

Plus que tout autre, le DRH est à même de faire le double constat qu’il n’y a pas de modèle universel d’organisation d’une part et qu’il y a nécessité de développer, d’autre part, un diagnostic spécifique, long, complexe, pour déboucher sur toute proposition de transformation de structures. L’enjeu est d’enregistrer, au jour le jour, le monde du travail en train de se faire avec une prétention d’histoire structurale renvoyée à ceux qui « font » le travail.

Plus qu’une chambre d’écho des petites misères et des grandes souffrances, la Gestion des Ressources Humaines s’apparente à un travail de compréhension ! Si nous comprenons bien les processus, nous pourrons mettre en place ensuite des dispositifs qui les facilitent. Cela exige de bien comprendre les métiers dans l’entreprise. Sélectionner, mobiliser et utiliser des ressources. Pas les additionner mais les combiner. Il faut penser et agir en termes de liens et non de listes. En termes « d’énergigramme » et pas seulement « d’organigramme ». Il faut savoir entrer en relation de confiance, avec des partenaires extérieurs qui jugent vos constats, vous évitent de passer trop vite du symptôme à la solution.

Le DRH a, en ce sens, souvent une longueur d’avance sur le (mauvais) consultant car dans le management, toutes choses égales par ailleurs, les mêmes causes ne produisent que rarement les mêmes effets. La faiblesse de nombre de travaux de consultants, sur le plan méthodologique, concerne l’utilisation seule des questionnaires à questions fermées et à modalités ordinales qui nous semble inadéquate quand on explore des identités professionnelles. L’exigence de devoir répondre rapidement favorise les mécanismes de défense inconscients telles que la rationalisation, la négation ou encore la banalisation... Le niveau exploré reste celui des opinions, reconstructions conscientes à partir d’éléments cognitifs et normatifs immédiatement disponibles à la conscience. Or, répétons-le, les opinions ont souvent peu de rapports avec les comportements et avec les conduites. Un outil à déployer : La note d’étonnement en images (quelles sont, toi qui est avec nous depuis trois semaines, les cinq images qui illustrent ton étonnement ? Explique-moi !

• 6, Un DRH crée particulièrement autour de lui des espaces de paroles pour s’entendre des choses utiles qu’il n’a pas toujours envie d’entendre !

On ne règle pas des problèmes d’ambiance au travail, des doublons et de salariés en difficultés avec du yoga, des tables de ping-pong ou une visite de musée. On risque même l’inverse parce que l’on donnera l’impression qu’on a été attentif alors qu’en réalité, on est passé à côté de l’essentiel.

L’essentiel, c’est la défense d’une sorte de « sociologie des coulisses » pratiquée par le DRH. « On ne dit pas la même chose, on ne se confie pas de même manière à un chercheur extérieur à l’entreprise et à quelqu’un qui en est membre même si son statut lui confère une relative indépendance » confirment Françoise PIOTET et Renaud SAINSAULIEU. Un DRH est une personne qui instaure des relations de confiance avec les salariés. Des relations proches qui permettent de connaître les rapports aux conjoints, aux enfants, aux pratiques culturelles, à la langue parlée à la maison, aux fréquentations, à la vie associative, aux projets pour la retraite...

L’enjeu est certainement de détecter une part de « non-exprimé » parce que les personnels ne veulent pas tout dévoiler et ils ont raison. Pour cela, il convient de travailler sa qualité de présence : ne pas être dans le « rendez-vous » mais dans « la rencontre », en étant pleinement présent, en écoutant activement. Une rencontre, c’est d’abord une posture d’accueil à l’inconnu, à l’imprévisible.

La tâche du DRH et de ses équipes est celle du diagnostic. « Diagnostiquer, c’est littéralement « voir à travers » (dia gnosis), établir une connaissance qui dépasse celle du sens commun, créer une lucidité nouvelle sur la réalité quotidienne » écrivent Françoise PIOTET et Renaud SAINSAULIEU. Et soulignent que des théoriciens qui n’étaient pas à proprement parler «sociologues», comme Henri FAYOL qui dirigea, pendant plus de trente ans, une société minière, ou Frederick Winslow TAYLOR qui a notamment déposé des brevets sur les outils de coupe dans l’industrie mécanique, ont pratiqué ces modes d’enquêtes en « temps réel », ont cherché à faire émerger des savoirs tacites par une observation en co-présence physique de longue durée et la pratique du gouvernement d’entreprise.

De nombreuses fonctions peuvent être sous-traitées, comme la paie, le SIRH, le conseil juridique... Cela implique d'évaluer la véritable valeur ajoutée de ces services, tout comme d'accepter une « perte de contrôle » relative. Mais pas ce travail fin et patient de diagnostic du social !

Seule l’observation longue permet d’établir des outils pour décrire des chaînes d’actions et face à cet enjeu, les DRH se voient ainsi de plus en plus en charge d’être dépositaires de « mémoire », de devoir rester en poste plusieurs années s’ils veulent être compétents et acquérir mémoire, généalogie et linéament des choses et des personnes au travail.

La gestion des RH n’est pas simplement une fonction administrative, mais un élément stratégique qui influence directement la croissance et la pérennité de l’entreprise.

Maîtriser une activité professionnelle, c'est compter dans le regard de l'autre, qu'il soit collègue, chef ou subordonné, c'est pouvoir se faire écouter. Le DRH est là aussi pour cela.

Penser l'écart. Et moins la différence culturelle ou le "choc" des civilisations.

Entretien d'Eric Kilont avec Philippe Pierre, www.philippepierre.com

Pourquoi entrer en guerre ?

Pourquoi systématiquement se poser en s'opposant ?

Pourquoi considérer l'autre comme d'abord un ennemi ?

On sait que la psyché a une tendance monadique. Gabrielle Halpern souligne une « pulsion d’homogénéité » ordonnée autour de la rente que procure une identité valorisée socialement. Cette pulsion d’origine sociale, de condition, de pseudo-appartenance raciale amène à cultiver la répétition d’un comportement, d’un discours, d’une conception du monde.

Nous défendons, depuis longtemps, un regard portant sur d’autres gens – que l’on nomme étrangers – et qui sont de « plus en plus » nos contemporains parce que leur destin nous importe. Que leur condition influence notre propre survie.

Eric Kilont : Dans votre tout dernier ouvrage L’Archipel humain. Vivre la rencontre interculturelle, qui vient de paraître aux Editions Charles Léopold Mayer, vous mobilisez, avec michel SAUQUET, la notion d’écart culturel, chère à François Jullien ? Pourquoi ?

En appeler à la notion d’écart culturel, c’est d’abord appréhender le monde qui nous entoure comme composé d’une infinité de différences et faire le constat, comme le fait aussi Philippe Descola « qu’aucun des êtres, des choses, des situations, des états, des qualités, des processus qui s’offrent à notre curiosité n’est absolument semblable aux autres ». La notion d’écart culturel consacre, en premier lieu, cette insondable pluralité qui fait notre condition humaine.

Alain Badiou a su aussi souligner cette force de l’imprévisible, cette puissance discrète de l’écart. Il confie que Stéphane Mallarmé lui a appris que la puissance de l'art est suspendue à la notion d'événement : penser et formaliser ce qui arrive en tant qu'il arrive et pas en tant qu'il est. En musique, Joseph Haydn lui a enseigné qu'on pouvait créer des effets extraordinaires avec de très petits éléments, des cellules musicales restreintes et presque banales. Cela l’a habitué à chercher l'extraordinaire dans l'ordinaire. En peinture, le Tintoret lui a montré comment un peintre pouvait saisir dans la monumentalité la plus affirmée le passage de quelque chose, en l'occurrence de l'esprit...

La notion d’écart culturel invite autant à souligner cette multiplicité dans la culture décrite par Alain Badiou que la culture en tant que multiplicité. Admettre cette multiplicité, cet en tant que, c’est aller au-delà des apparences, des identités de papier, du premier regard, de la confirmation fiévreuse des stéréotypes… c’est, comme l’écrit François Jullien, « commencer par désassimiler, verbe éthique et logique à la fois. C’est-à-dire sortir de la tendance primaire, précipitée, à tout réduire à du semblable et de l’homogène pour mieux l’intégrer ».

Eric Kilont : Désassimiler ! Vous pointez, depuis longtemps, ces enjeux nécessaires propres à une culture du doute, de la suspension de jugement et de la distanciation du regard dans vos travaux sur l’éducation, le développement et la solidarité internationale. Dans vos recherches aussi sur la mobilité des populations expatriées ou migrantes. Toujours l’écart ? Non la différence.

En effet, la notion d’écart culturel nous aide également à mieux comprendre cette mise en mobilité généralisée de nos contemporains, selon l’expression de Alain Bourdin, quand de plus en plus d’entre nous quittons notre terroir natal pour aller vivre et vieillir dans une autre région. C’est chercher à révéler les multi-connections entre tous les êtres, les trames intimes car « il y a autant de modes de relation qu’il y a de différences insaisissables d’existence », dès lors que l’humain se met en mouvement.

Et pour saisir ces processus de multi-appartenance liés aux mobilités qui font nos temps présents, la notion d’écart est alors indissociable de celle d’interaction. Car « aucun phénomène n’est significatif pris isolément et il ne devient pertinent que s’il est situé dans un réseau d’oppositions distinctives à l’intérieur d’un groupe de transformation ». Recourir à cette notion d’écart revient à accepter l’idée qu’aucune identité culturelle n’existe en soi, comme une essence. On ne peut ranger les identités culturelles comme des collections de papillons que l’on épingle. L’identité culturelle n’est pas une permanence mais une capacité de variation. En multiplicité. Il y a plus de quatre-cent cinquante ans, Pierre Charron, l’exprimait très bien :

« L’homme est un sujet merveilleusement divers et ondoyant, sur lequel est très malaisé d’y asseoir jugement assuré, jugement dis-je, universel et entier ; à cause de la grande contrariété et dissonance des pièces de notre vie. La plupart de nos actions ne sont que saillies et bouttées, poussées par quelque occasion : ce ne sont que pièces rapportées ».

Eric Kilont : Vous invitez chacune et chacun à vivre la rencontre interculturelle ?

L’écart, et non l’opposé, est la fissure d’un autre possible. Et cet autre possible est le produit d’une rencontre. Plusieurs chemins sont possibles quand on envisage cette rencontre et la propension à la nouveauté qu’elle recèle : se libérer du trop connu, se scinder en plusieurs, s’extraire d’un groupe d’appartenance devenu étouffant, cultiver la figure du « jamais content »…

« On n’existe qu’autant qu’on peut rencontrer » écrit François Jullien. « Si je ne rencontre plus, ma vie s’étiole. Ou disons que ma vie ne s’intensifie que de ce que je rencontre encore (...). L’art de la rencontre, ou la survie de celle-ci, sera donc de maintenir l’écart, ou plutôt de l’ouvrir indéfiniment, au sein de la plus intime proximité ».

La rencontre se présente d’emblée comme événementielle, et même comme l’événement par excellence. Une rencontre n’est en effet possible qu’au prix de ce paradoxe : « il faut que l’Autre soit enfin si près, entrant en présence, mais que se maintienne en même temps son altérité.

La rencontre se place même sous le signe de la catastrophe. Catastrophe, ici, n’a rien du sens ordinaire de l’adjectif « catastrophique », mais est à entendre comme un processus de transformation des représentations que l’individu cherchera à mettre perpétuellement en forme au travers d’un acte denarrationpropre à son existence. Catastrophe est à associer àbouleversement,supplémentet à unerévélationdu sens. Nous pointons, dans notre livre, un effort double de « saisie de soi » et d’apprentissage de rôles sociaux chez l’individu comme l’illustrent, par exemple, ces marchands marocains ou chinois qui savent ponctuellement accentuer leur ethnicité et mettre en valeur certains traits symboliques manifestes de leur identité supposé connue (jeu autour du patronyme, emblèmes claniques, pièces d’habillement, accents langagiers, pratiques cultuelles ou religieuses, rituels alimentaires, clins d’œil appuyés…) pour orienter le sens de l’interaction humaine. Ces éléments résultent d’une première « saisie de soi » et fonctionnent comme autant d’informations connotées face à des clients venus de loin. Dans ce qui arrive (l'accident), l’individu sélectionne l'événement (la naissance du sens) « dans une hiérarchie stratifiée de structures signifiantes ».

Ce fil complexe que nous nommons bricolage identitaire, faute de mieux, et à la suite des écrits de Melville Herskovits, Roger Bastide ou Claude Lévi-Strauss, nous conduit à reconnaître, comme le fait Michel Foucault, que « là où l’âme prétend s’unifier, là où le Moi s’invente une identité ou une cohérence, le généalogiste part à la recherche du commencement – des commencements innombrables [...]. Suivre la filière complexe de la provenance, [...] c’est découvrir qu’à la racine de ce que nous connaissons et de ce que nous sommes, il n’y a point la vérité et l’être, mais l’extériorité de l’accident ».

Quand nous voyons un individu renforcer son accent pour gagner en légitimité dans une conversation, quand il arbore un bijou, un badge ou une pièce de vêtement pour être davantage reconnu et se faire accepter plus vite, quand nous constatons ces situations de manipulation situationnelle de l’ethnicité, il convient toujours de rappeler que ces manipulations mettent en jeu des régimes de signes très différents : textuels, iconiques, médiatiques, corporels... Dans notre ouvrage, nous pointons des « chaînons sémiotiques », sortes de « tubercules agglomérant des actes très divers, linguistiques, mais aussi perceptifs, mimiques, gestuels, cogitatifs ». Et recourons à la figure du rhizome pour en saisir les reliefs.

François Jullien montre bien que ce qui fait le propre de la rencontre est, d’une part, que chacun garde un « soi », d’où résultent le choc et la mise en tension : il n’y a pas là fusion, le soi ne s’abolit pas ; mais, d’autre part, que ce soi s’y trouve démuni, ou du moins ébréché dans sa clôture, dépossédé de ce qui le maintient et le conforte en un « soi ». « La rencontre est cette structure contradictoire, en effet, par là si problématique, proprement limite, mais du même coup si féconde, qui fait à la fois l’un et l’autre : maintient l’écart (de l’altérité) en même temps qu’elle met en présence, en portant au « plus près », d’où se dégage sa puissance, qu’on ne peut contenir, d’effraction ».

François Jullien va même plus loin : « la rencontre est d’autant plus effective, qu’il y a, en et par elle, remise en question, en travail, aux deux sens à la fois de production et de souffrance, de ce qui fait l’appartenance du sujet se repliant en un soi. En quoi la rencontre est éthique, et même au principe de l’éthique ».

Eric Kilont : « Nous sommes portés d’emblée à « assimiler », ou rendre semblable à soi, tout ce qui nous semble extérieur ou étranger. Or, c’est en fissurant la similitude que nous accédons vraiment à l’autre » écrit François Jullien. Cette notion d’écart nous invite donc à nous éloigner de certaines de nos habitudes occidentales ?

Certainement.

A quoi est due la suprématie de la pensée du sens en Europe, se demande François Jullien ? Cette hégémonie d’un sens, non seulement sélectif, mais devenant exclusif, n’a-t-elle pas tant pesé sur nos vies ? N’a-t-elle pas tant pesé comme une fatalité ?

« Pourquoi faudrait-il que ma vie soit sujette à « sens », à un « sens » ? Pourquoi ne pas reconnaître l’éparpillement et le non appareillé ? » se demande François Jullien.

Dans notre tradition occidentale, « l’autre est l’opposé du même ». François Jullien propose d’envisager l’autre comme l’inconnu et non plus le contraire. L’autre ne se déduit pas mais se découvre et constitue ce qui échappe à la volonté d’assimilation, c’est -à-dire de transformer l’autre en chose et la chose c’est moi ! L’autre est ce qui est extérieur à soi et non le négatif du même. Il donne cet exemple du paysage en Chine :

« Ou si l’on oublie que « paysage » se dit en chinois, non en un terme unitaire et par composition-dérivation (comme dans toutes les langues européennes : « pays »-« paysage », Land-Landschaft, land-landscape…) ; mais par un binôme (de termes opposés complémentaires : « montagne(s)-eau(x) », shan-shui 山水), donc par corrélation du Haut et du Bas – ou de ce qui est immobile (la montagne) et de ce qui est mobile (l’eau) ; ou de ce qui a forme (la montagne) et de ce qui est sans forme (l’eau) ; ou de ce qu’on voit (la montagne) et de ce qu’on entend (l’eau)… –, on sera passé à côté, sans même sans douter, sans plus s’en préoccuper, d’une tout autre conception possible du paysage ; ou plutôt, plus radicalement, d’une toute autre façon de l’aborder ».

François Jullien montre bien, qu’en Occident, « l’unité des opposés est leur foncière vérité » car l’opposé ne confronte pas à du non-connu. Il amène à perpétuer le semblable et à ramener dans les filets du déjà-connu. Il se range sagement en face de nous pour que l’on continue de se poser en s’opposant. Pour continuer la guerre froide des termes en présence.

Les campagnes politiques, et leurs cortèges de débats offerts à la télévision, illustrent ces moments de frontalité organisée, cette danse rituelle du complémentaire ou du contraire… déjà-connus à l’avance. Chacun s’aligne en trouvant sa place sur les barreaux d’une seule échelle, d’un seul champ de valeurs inversées. Chacun campe son rôle et l’opposé se réduit à un miroir adverse déformant. L’enjeu de ceux qui organisent ces débats semble de mettre sous contrôle, de contenir dans la perspective du même, mais en relation inversée. « L’« autre » peut être certes virulent, démonstratif, emporté, il en a perdu sa capacité à désarçonner. Il est « accouplé » àl’adversaire. Il est son pendant » remarque François Jullien. Régis Debray fait aussi ce constat d’une pensée atrophiée propre aux temps courts médiatiques : « donner aux candidats à une élection présidentielle, alignés comme volaille en batterie sous les projecteurs, une minute trente pour exposer leur conception de la France et du monde constitue un abaissement proche de l’attentat à la sûreté de l’esprit européen. Que ce speed dating, précédé de sketchs moqueurs pour en faire des grotesques, puisse être accepté sans broncher par les politiques en dit long sur le point de décivilisation (ou normalisation) auquel est parvenu notre forum acclimaté, ou plutôt aliéné. Quand le temps manque, le ton monte et le niveau baisse ».

« Dans l’opposition » remarque François Jullien, « l’altérité n’a plus de vocation exploratoire, elle n’est plus que contradictoire : l’un et l’autre termes y ont perdu leur étrangeté. La pensée ne s’aventure plus ».

« L’écart », condition de la rencontre, « détache du donné une nouvelle possibilité : il fait quitter le connu pour l’inconnu, délaisser le sentier battu au point qu’on ne peut plus se repérer » souligne François Jullien.

Défendre l’interculturalité, consiste, dès lors, selon nous, à vouloir multiplier les embranchements. « Tandis que la différence, en s’approfondissant en opposition, a rangé l’autre, a replié son altérité, l’écart, dérangeant comme il est, fait surgir un autre qu’on n’envisageait pas, et même dont on ne se doutait pas qu’il pourrait exister ».

Avec cette figure de l’écart, de l’autre doit se détacher du familier. Une visée interculturelle consiste à remettre en tension une pensée par la présence d’un étranger, à reconstituer des logiques occultées, à déranger cette pensée vers une dissidence d’avec le sens commun, à vouloir (vouloir) faire émerger de l’autre, à se demander en quoi les adversaires sont aussi partenaires au moment même où ils acceptent de laisser entrer de l’écart dans leur dialogue. L’interculturel est-il résolution d’une tension contradictoire ? Il est plus que cela. Il est « rencontre de l’humain dans l’autre homme, accéder au soi et à l’intime ».

Eric Kilont : On trouve aussi chez Claude Lévi-Strauss une réflexion puissante sur la notion d’écart.

Tout à fait et elle nous inspire.

Devant les “ pieuses paroles ” de certains fonctionnaires d’institutions internationales, Claude Lévi-Strauss s’interrogeait sur ce que signifie prétendre “ concilier la fidélité à soi et l’ouverture aux autres ” et prôner en même temps “ l’affirmation créatrice de chaque identité et le rapprochement entre toutes les cultures ”, puisque ces ambitions sont antinomiques ?. Faut-il exprimer, comme Claude Lévi-Strauss, le souci d’un certain cloisonnement des cultures au motif que la richesse de l'humanité réside dans la multiplicité de ses modes d'existence ? Alors la mutuelle hostilité des cultures serait non seulement normale mais nécessaire. Elle constituerait "le prix à payer pour que les systèmes de valeurs de chaque famille spirituelle ou de chaque communauté se conservent et trouvent dans leurs propres fonds les ressources nécessaires à leur renouvellement". Face aux méfaits de la mondialisation, si une collaboration trop durable entre des hommes différents risque à terme de les appauvrir sans les contenter, ce qu’il conviendrait de conserver dans l'histoire, ce n'est pas la ressemblance mais la diversité des cultures (ce que, sur un plan international, Claude Lévi-Strauss nomme la « coalition des cultures »). « La véritable contribution des cultures ne consiste pas dans la liste de leurs inventions particulières, mais dans l’écart différentiel qu’elles offrent entre elles (...) Il n'y a pas, il ne peut y avoir une civilisation mondiale au sens absolu que l'on donne souvent à ce terme, puisque la civilisation implique la coexistence de cultures offrant entre elles le maximum de diversité, et consiste même en cette coexistence. La civilisation mondiale ne saurait être autre chose que la coalition, à l'échelle mondiale, de cultures préservant chacune son originalité ».

Références bibliographiques :

Alain Bourdin, “L'individualisme à l'heure de la mobilité généralisée”, in Sylvain Allemand, François Ascher et Jacques Lévy, Les sens du mouvement. Modernité et mobilités dans les sociétés urbaines contemporaines, Editions Belin, 2004, pp. 91- 98.

Aliocha Wald Lasowski, Edouard Glissant. Déchiffrer le monde, Bayard Culture, p. 136.

Philippe Descola, L'écologie des autres, Quae.

Pierre Charron, De la sagesse, Fayard, 1986, cité par Gabrielle Halpern, Tous centaures ! Éloge de l'hybridation, p. 51.

Claude Lévi-Strauss, Le regard éloigné, Plon, 1983.

Claude Lévi-Strauss, Race et Histoire, Folio, Réédition 1987.

Régis Debray, Civilisation. Comment nous sommes devenus américains, Editions Gallimard, p. 121.

François Jullien, Si près, tout autre : De l'écart et de la rencontre, Grasset, 2018.

Clifford Geertz, « La description épaisse. Vers une théorie interprétative de la culture », Enquête, n° 6, 1998, p. 76.

Michel Foucault, « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », Lectures de Nietzsche, Le livre de poche, 2000 cité par E. Gardella, « Du jeu à la convention. Le self comme interprétation chez Goffman », Tracés, 4, 2003.

Alain Badiou, Alain Badiou par Alain Badiou, Presses Universitaires de France, 2021.

Edouardo Viveiros de Castro, Métaphysiques cannibales, Presses Universitaires de France. « La multiplicité ne doit pas désigner une combinaison de multiple et d'un, mais au contraire une organisation propre au multiple en tant que tel, qui n'a nullement besoin de l'unité pour former un système » écrit Gilles Deleuze (Différence et répétition, P.U.F., 1968, p. 236).

François Jullien, Si près, tout autre : De l'écart et de la rencontre, Grasset, p. 12.

La diversité, étrange concept !

Entretien de Alexandre Brinsac (Kairos) avec  Philippe Pierre, www.philippepierre.com 

Alexandre Brinsac (Kairos) : Dans votre dernier livre, L’Archipel humain. Vivre la rencontre interculturelle, avec Michel Sauquet, vous critiquez la notion de diversité. Vous la reliez à une dérive progressive des partis et associations à vouloir d’abord répondre à des communautés plutôt qu’au peuple tout entier.

Ce danger existe en effet. La diversité n’est pas l’égalité et la défense d’intérêts catégoriels n’est pas l’horizon du progressisme. Il est urgent de réinventer une pensée progressiste capable de s’adresser au peuple tout entier. Et pas à des clans ou communautés isolées. Un peu comme on mesure des parts de marché.

Christopher Lasch avait pointé ce risque où « la perspective n’est plus en gros l’égalité des conditions sociales, mais simplement la promotion sélective de « non-élites » dans la classe professionnelle managériale et la classe politique »[1]. On parlera alors d’un idéal « diversitaire » qui renvoie, selon nous, l’immense majorité à un isolement sans prise sur le destin collectif tandis qu’il y a des gens, privilégiés, « bien nés », qui s’exceptent du sort commun. Cette idéal « diversitaire » s’oppose à un idéal « égalitaire » qui entrait en résonance, il y a peu, avec une France tournée vers l’extérieur en raison de sa tendance universaliste. Une France qui a eu une expérience coloniale mondiale, une tradition de projection dans le monde[2].

Chaque jour, la République est questionnée sur sa capacité à faire face à une « double » panne de l’ascenseur social : les démunis ne parviendraient pas à changer de condition suivant leurs efforts tandis que les enfants des mieux lotis ne seraient pas sûrs de conserver leurs positions[3]. Pire, quand le mérite sanctionne des privilèges pour quelques-uns seulement, l’idée se renforce d’une République supposée victime de cécité et qui ne parvient plus à marier principe d’égalité formelle et lutte contre les discriminations pour les femmes, les personnes handicapées, pour nos concitoyens issus directement d’une immigration de tous les continents, pour nos concitoyens issus des anciennes colonies françaises et aujourd’hui encore nommés, par certains, de « troisième génération » [4]...

Sur dix fils de cadres accédant aux classes d’un collège en 1995, huit réussissaient à poursuivre leur chemin comme étudiants dix ans après et un seul avait arrêté ses études sans avoir décroché le baccalauréat. Sur dix enfants d'ouvriers en revanche, trois sont présents dans l’enseignement supérieur quand la moitié a quitté le système sans décrocher le baccalauréat.

Un triple risque se fait jour avec l’extension de la notion floue de diversité. Celui d’emprisonner les individus dans des identités auxquelles il se pourrait qu’ils aient cherché précisément à fuir. Celui ensuite d’intérioriser un statut de victime et l’apprentissage de rôles qui lui sont associés. Celui enfin d’entrer dans une société de la consolation alors que la reconnaissance se fonde toujours sur un espace de discussion argumentative où l’on cherche à privilégier ce qui rassemble.

Précisons cela. Isolons les risques. « Comment définiriez-vous les différentes composantes de la société française ? » demande-t-on à Rokhaya Diallo, signataire de l’appel « pour une république multiculturelle et postraciale »[5]. « Il y a les blancs et les non-blancs. Cette dernière appellation n’est peut-être pas objective puisque parmi les personnes maghrébines, par exemple, certains ont la peau claire. Politiquement pourtant, ils sont non-blancs. Idem pour les Asiatiques, les Africains et les personnes d’outre-mer. De toute façon, on voit dans les médias qu’il y a un traitement différent selon la couleur de peau. Les journalistes utilisent volontiers « d’origine guadeloupéenne » jamais « d’origine berrichonne »[6].

Nous rejoignons Gérard Noiriel quand il écrit : « le déclin des partis politiques a amplifié le mouvement du fait qu’ils ont été partiellement remplacés dans l’espace public par une multitude d’associations, de comités et autres groupes de pression qui ont pris en charge des intérêts multiples et contradictoires en s’appropriant la trilogie moralisatrice qui structure le récit de fait divers : victime/agresseur/justicier »[7].

Gérard Noiriel pointe une dommageable « fait-diversion » de la société et la généralisation de procédés polémiques propres au temps court médiatique, et notamment des chaines d’information en continu. Des scènes ou s’exacerbent « l’indignation et la dénonciation qui sont les ressources les plus répandues dans toutes les sociétés humaines ». Des scènes où l’on reprend sans vergogne certaines des catégories politiques nord-américaines pour penser notre propre société (blancs, non blancs, noirs de France, minorités dites visibles...) alors que nous n’avons pas la même histoire (esclavagiste et ségrégationniste jusque dans les années 1960 aux Etats-Unis) et que l’invisibilisation des différences individuelles - derrière la figure du citoyen - est un socle de notre laïcité.

Nous serions dans un nouveau mode de fonctionnement de l’économie, dans une nouvelle société dont le défi, adressé à la République, est désormais le risque d’individu tout puissant et de fragmentation des liens ? Cela reconfigure la notion de mérite ?

François Dubet a su souligner deux façons de lutter contre les inégalités et reconnaitre un mérite. Une critique conduite au nom des « places » et de l’égalité dénonce, par exemple, les écarts de salaires entre les revenus des dirigeants et ceux des salariés modestes. Une critique menée au nom des « chances » viendra plutôt dénoncer, au nom de la diversité, « l’endogamie sociale des groupes dirigeants dans lesquels les femmes et les minorités visibles ne sont pas assez représentées »[8]. Nombre de nos dirigeants, à droite comme à gauche de l’échiquier politique, semblent hésiter entre l’idéal malmené de la République (au nom des « places ») qui suppose de l’universel possible (et ignore les groupes) et des politiques de la différence, sorte d’idéal des tesselles d’une mosaïque, qui sous-entendraient que quelque chose de profondément singulier, qui ne peut être universellement partagé, appartient à chacun dans la définition de son identité dans un groupe ou une communauté[9]. Pour ces politiques de la différence, l'intégration en France aurait montré son échec. Pour les zélateurs les plus radicaux de ces politiques, une étape transitoire, une étape communautaire, doit marquer notre République parce que plus l’on serait « organisé structurellement en tant que communauté, en tant que groupe communautaire, plus l’on aurait de chances réelles de s'en sortir »[10].

Vous pointez une forme de désaveu du « social » face à une montée en puissance de la question des origines ?

Nous rejoignons Marcel Gauchet quand il écrit que « La question de l’égalité, qui avait été au cœur de la pensée de gauche depuis toujours, cède la place à la question de l’exclusion. L’attention se déplace sur les victimes et les marges. La visée qui s’impose est celle de l’équité à l’égard des plus défavorisés plutôt que celle de l’égalité générale. La notion cardinale de changement social change de visage. Il ne s’agit plus tant d’instaurer la justice sociale que d’assurer la coexistence de tous les individus dans les conditions de la tolérance universelle des différences et des convictions » [11].

Le premier mal qui touche notre société, avant le déni de revendication culturelle ou ethno-raciale, est la désaffiliation sociale. Les femmes et les hommes ont besoin d’être reconnus sur différents plans et dans notre société, de plus en plus sont ceux qui éprouvent le besoin de se protéger du risque permanent d’être « débranché » face à des places et des statuts menacés de disparaître[12]. Face au péril de ne pouvoir gérer les écarts entre l’identité héritée, l’identité espérée et l’identité acquise[13],  face à la croyance que le jeu est ouvert et que tout le monde peut concourir et être classé selon son mérite, fort est le risque de se distinguer et de se différencier non autour de droits individuels mais de chercher à trouver la chaleur d’une histoire signifiante autour de droits collectifs et culturels. Pour précisément compenser l’idée que l’échec est imputable à l’individu lui-même[14]. Dans ces affrontements symboliques visant à imposer à l’ensemble de la société sa vision du monde en vue d’améliorer sa place dans la société, dans les débats publics, la lutte contre les discriminations (sous l’angle culturelle) a progressivement pris l’ascendant sur la lutte contre les inégalités, souvent en référence publique à des communautés stigmatisées (« musulmanes », « juives », « roms »…) et aussi en référence au mot de « diversité »[15]. Luttant pour leur « reconnaissance », nous voyons un danger à ce que des individus aient davantage acquis un droit à faire reconnaître la dignité de ce qui les rend différents les uns des autres que ce qui les rassemble[16].

Vous associez progressisme et interculturalité ? Que penser d’une morale qui se propose de prendre comme modèle de toute relation éthique la responsabilité envers les personnes les plus vulnérables et non la relation contractuelle entre personnes libres et informées ? On pourrait tendre, comme l’exprimait Raymond Boudon, vers une situation où la morale paraît se réduire à un principe unique : le respect de l’autre.

Ce sociologue rappelait aussi qu’une société multiculturelle est une société marquée par la figure du « côte à côte » et dans laquelle le comportement qui est jugé « bon » dans le privé ne l’est pas aussi dans le public et réciproquement [17].

Les institutions devraient être créées pour ce qui rapproche et non pour souligner les divisions entre des acteurs de plus en plus diversifiés (autorités étatiques, associations, entreprises, services publics, partenaires sociaux…).

L’humanité du citoyen passe par l’intersubjectivité, autrui m’obligeant éthiquement et politiquement à devenir moi-même. Je dois, pour être libre, éprouver la résistance extérieure de l’autre qui vient limiter sans cesse l’espace de déploiement de mes intérêts personnels. Face à la faiblesse des corps intermédiaires, dans la société française d’aujourd’hui, chacun aurait tendance à investir ce qui lui est le plus proche, les liens fondés sur la ressemblance et l’origine commune, les valeurs universalistes et « les grands idéaux politiques apparaissent comme des principes trop abstraits, trop généraux ou lointains » [18].

Plus qu’aucun autre, l’idéal d’une société interculturelle exige. Et Christopher Lasch a raison d’écrire que « ce sont des sociétés organisées autour d’une hiérarchie du privilège qui peuvent se permettre des normes multiples, mais pas une démocratie »[19]. Et plus encore, ajoutons-nous, une République, où les normes de vie en commun et de conduite personnelle : civilité, zèle, autocensure, modération... doivent être transmises dans le temps long d’une conscience historique à partager. La République, modèle interculturel de référence à nos yeux, doit savoir constamment fixer un cap plus haut et exigeant que l’ouverture d’esprit et la fade tolérance.

Marcel Gauchet pointe aussi ce risque : « Il faut être « ouvert » sur tous les plans, vis-à-vis de toutes les différences, qu’elles soient religieuses, culturelles, ethniques, sexuelles ». Marcel Gauchet relève que « l’ethnocentrisme d’autrefois consistait à dire : « Nous sommes supérieurs aux autres races et religions ». Le dogme de l’ethnocentrisme contemporain est autre : « Nous sommes tous pareils », cela voulant dire que nous avons tous nos us et coutumes particuliers qui doivent coexister harmonieusement sans qu’il soit besoin de s’enquérir de leur contenu. Autrement dit, toute interrogation sur une altérité vraie est stigmatisée du mot infamant d’« exclusion ». Nous sommes dans des sociétés incapables d’interroger la diversité civilisationnelle puisque celle-ci est a priori réfutée par l’idée de la similitude universelle »[20].

« L’idée que l’unité du genre humain s’accommode d’authentiques écarts civilisationnels, qui nous instruisent sur les possibles humains, n’a plus droit de cité » exprime Marcel Gauchet[21].

Etre progressiste, c’est accorder de l’importance à l’idée que chaque être vaut pour lui-même indépendamment de la communauté à laquelle il appartient. Lutter, par exemple, contre l’enfermement des femmes au foyer, la répudiation de l’épouse, le retrait des filles de l’école avant la fin de leur scolarité...

Felwine Sarr exprime cela formidablement :

« Habiter le monde, c’est se concevoir comme appartenant à un espace plus large que son groupe ethnique, sa nation, le continent qui vous a vu naître, ceux qui ont la même couleur d’yeux que vous, ceux avec qui vous partagez le même niveau de richesse, le groupe culturel initial dont on est issu. C’est pleinement habiter les histoires et les cultures de l’humanité : endosser ses multiples visages, se sentir héritier des gisements de sens provenant de ses cultures plurielles »[22].

La justice est un principe et non un « être » [23] défendu par de pseudo droits « culturels » et un discours de la « différence » qui, lorsqu’il est institutionnalisé, peut devenir un dispositif de contrôle des populations qui les cantonnent dans une fausse authenticité nostalgique[24]. Un dispositif qui nie la capacité des individus à réécrire le sens de leurs propres actions et les emprisonne dans des murs de significations auxquels il se pourrait qu’ils aient cherché à échapper. On sait le danger à intérioriser un statut de victime, à faire l’apprentissage de rôles qui lui sont associés et à couronner une « société de la diversité » qui n’est que « société de consolation » (devenir obligé, au nom de la revendication de la dignité ou de la fierté, de se soumettre en réalité à une identité stigmatisée pour revendiquer plus de droits que le groupe voisin).

Au-delà, il y aura toujours en matière de lutte contre les inégalités mais aussi contre les discriminations, à distinguer, ente deux types de justice. Une justice mathématique, commutative en quelque sorte, et qui se définit par le poids, la mesure et le chiffre, et une autre liée avec l’égalité (proportionnelle) qui s’attache aux subjectivités, aux trajectoires vécues, aux élans de générosité et aux sentiments. Avoir des droits ne se réduira jamais à un catalogue de droits. Les luttes en faveur du droit des citoyens discriminés, des femmes en particulier, nous apprennent que la justice seule, procédurale, ne suffit pas et qu’il faut mobiliser d’autres valeurs telles que la solidarité.

La République ne consiste pas à fonder une égale reconnaissance des identités méprisées, des cultures dominées et des communautés opprimées. Elle consiste à se voir sous l’angle des autres sans reconnaitre d’égale valeur aux valeurs, sans céder au « tout se vaut ».

Dans votre ouvrage, vous prenez beaucoup de distance avec le terme de diversité. En quoi, selon vous, la diversité est un cheval de Troie des politiques de discrimination positive ?

Dans la lutte contre les inégalités, un premier risque est de confondre égalité et diversité. Si elle répond au désir d’autonomie des individus, l’égalité des chances prônée par la diversité s’accommode souvent de l’existence et même du développement des inégalités. L’accès d’un petit nombre à la réussite n’a pas forcément de répercussions pour le plus grand nombre.

Notion flottante qui s’impose comme une vérité d’évidence, la diversité a su conquérir en quelque sorte par simplification lexicale un statut qui rend impossible l’expression d’idées contraires. Il est d’ailleurs paradoxal de mesurer l’influence dans le débat public des politiques d’action préférentielle en France alors qu’elles sont sous le feu des critiques ailleurs quant à l’attribution de marchés publics, emplois publics ou d’éducation[25]. Qu’est ce pourtant que discriminer ? Faire ce que font certains zélateurs de la diversité et enfermer involontairement l’autre en admettant que les attributs de son identité en fassent, pour toujours, les signifiants. On mesure là le risque de tout communautarisme. Cela s’exprime souvent sournoisement par un passage d’une différence - un mode de raisonnement différent du nôtre, par exemple (« ils ne pensent pas comme nous ») - à une description de l’infériorité en réalité (« laissons les réfléchir de leur côté »). On croira aussi repérer une différence de nature et à force de chercher à identifier, séparer des communautés, certaines politiques dites de gestion de la diversité, peuvent précisément conduire à redéfinir les différences matérielles qui existent entre les gens (« j’ai plus que toi, tu as moins que moi, tant pis pour toi ») comme des différences de culture(« j’ai la mienne, tu as la tienne, et tout le monde est content »)[26].

En cela, les discriminations sont toujours une pathologie due à l’absence de mixité sociale pour des individus qui simplement s’additionnent, vivent côte à côte et fuient ce qu’une politique juste réclame, à savoir prendre le risque d’une analyse des causes profondes de l’absence de certaines populations à des positions de pouvoir plutôt que la promotion médiatique, ponctuelle, arbitraire de personnalités censées « incarner » cette diversité si recherchée. Les politiques de gestion de diversité contribueraient à ce que certaines personnes échappent à un traitement injuste sans abolir les inégalités de fond des positions économiques, sociales et symboliques (hiérarchies salariales, hiérarchies d’autorité, accès aux postes les plus intéressants…) auxquelles on ne veut pas, on ne veut plus ou on ne peut plus toucher[27]. Alors qu’il y a au cœur des politiques de gestion de diversité, la tentation de mesurer le mérite et de distinguer, mais le peut-on toujours, déterminismes sociaux et part de la responsabilité individuelle, jamais les manifestations et les causes des discriminations ne se réduisent à une définition unique. Il est en effet souvent difficile de démêler ce qui relève de la discrimination entre des individus du fait de certaines de leurs caractéristiques et ce qui relève des inégalités entre leurs milieux sociaux d’origine. Par exemple, si les étrangers sont plus souvent au chômage que les Français, cela tient d’une part à une discrimination à l’embauche mais aussi d’une inégalité de niveau de qualification qu’il faut tout autant combattre. La justice est un principe et non un « être » [28] défendu par de pseudo-droits « culturels » et un discours de la « différence » qui, lorsqu’il est institutionnalisé, peut devenir un dispositif de contrôle des populations qui les cantonnent dans une fausse authenticité nostalgique[29]. Un dispositif qui nie la capacité des individus à réécrire le sens de leurs propres actions et les emprisonne dans des murs de significations auxquels il se pourrait qu’ils aient cherché à échapper[30].

Un deuxième risque est bien d’entrer volontairement, au nom de motifs que l’on croit justes, dans une société de la consolation. Francesco Fistetti a raison d’écrire que nous pouvons être en désaccord et même refuser certaines pratiques culturelles des autres cultures (comme la subordination des femmes) sans pour autant dévaluer leur culture in toto et avec elles les mondes vécus qui y sont incorporés [31].

Quand lorsque l’on se sent étranger, répudié, ignoré… quand ses propres représentations ne sont pas possibles dans l’espace public, il convient de comprendre pourquoi et comment prennent force, dans cet espace, des identités latentes soudainement vécues et revendiquées comme moyen de lutte. Mais grand est le danger d’intérioriser un statut de victime, de faire l’apprentissage de rôles qui lui sont associés et de couronner une « société de la diversité » qui ne serait que « société de concurrence victimaire » (le mécanisme amène à devenir comme obligé, au nom de la revendication de la dignité ou de la fierté, de se soumettre à une identité stigmatisée pour revendiquer en réalité plus de droits que le groupe voisin). En cela, la reconnaissance de groupes sociaux ou de groupes culturels n’est pas une théorie de la justice suffisante[32]. Walter Benn Michaëls a raison d’écrire que « si nous parvenons à nous convaincre que les pauvres ne sont pas des personnes qui manquent de ressources mais des individus qui manquent de respect, alors c’est notre « attitude » à l’égard des pauvres et non leur pauvreté, qui devient le problème à résoudre » [33]. Elena Filippova souligne utilement que « la vitrine d’une « diversité », représentée par la fine couche d’une élite « ethnique », masque le sort de milliers de citoyens « de base » qui n’aspirent pas à l’entrée aux grandes écoles, mais à l’emploi stable, au salaire correct et au logement décent »[34].

Dans une société française par ailleurs si propice actuellement à cibler les populations autour d’une origine ethnique et à distinguer deux types de Français, ceux de souche et ceux courant le risque de se voir déchus de leur nationalité, nous cernons aussi le risque qu’il y aurait, chez certaines associations ou chez certains responsables politiques, à chercher à piéger systématiquement les « auteurs » de discrimination, à punir plutôt qu’éduquer. Car l’on peut s’étonner, chez certains défenseurs pourtant sincères de la lutte contre les discriminations, de l’argument qui consiste à pointer la discrimination de Français identifiés comme « non blancs » en la rattachant à l’injustice qu’il y aurait à être « assimilés » à des personnes immigrées à qui l'on demande précisément aussi de « s'intégrer ». Dans les deux cas, l’infamie consiste à être victime de discriminations et non à être semblables à des citoyens perçus comme des citoyens de « seconde zone » par ceux qui discriminent. Par un étrange retournement, ces défenseurs en arriveraient à renforcer l’idée de la constitution d’une catégorie héréditaire d’immigrants pour toujours, sortes « d’étrangers de l’intérieur »[35].

Qui sont les auteurs et qui est la victime de la discrimination ? Il est des situations où personne ne puisse livrer une réponse marquée du sceau de l’évidence. Il n’est évidemment pas nécessaire d’être noir ou métisse pour engager le combat de la lutte contre le racisme. Certaines politiques invitent pourtant souvent à aller au plus pressé, à renvoyer aux seules « origines » pour sanctionner les fautifs avant d’analyser les causes (et encaisser des sommes de plus en plus importantes offertes pour la défense juridique des vraies ou fausses victimes). Comment prouver, par exemple, qu’une personne d’origine immigrée ne bénéficiera pas des mêmes augmentations de salaire que ses collègues effectuant le même travail sans études fiables et patientes ? Comment prouver que cette personne sera systématiquement écartée des promotions au titre de ses seules appartenances plus ou moins visibles ? Comment montrer, et sur quels critères se baser, que son supérieur hiérarchique et son DRH n’ont pas agi correctement alors qu’ils peuvent aussi connaître mieux l’histoire de l’entreprise, les objectifs de travail ainsi que le contexte dans lequel le salarié devait les réaliser ?

On mesure là tout l’intérêt des sciences humaines et sociales pour parer le risque de séparer analyse des processus et examen des indicateurs. Les discriminations constituent des réalités encore mal connues dans le monde du travail. Les victimes hésitent à porter plainte, ne voulant pas attirer défavorablement sur elles l’attention d’un futur employeur. Une politique de lutte contre les discriminations ne se résume pas à la mise en place de statistique, même de la diversité. Et fort est l’intérêt de peser également les dégâts collatéraux liés à la mise en œuvre d’un management de la diversité. On en fait généralement abstraction[36].

Quelles sorties de crise proposez-vous ?

Une approche possible consisterait à mettre en œuvre une stratégie volontaire et systématique d’égalité par la représentation de groupes cibles avec quotas (que ces groupes se définissent comme communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance). Elle conduira aussi à l’échec et fera le lit de modèles néo-libéraux qui ne disent pas leur nom mais sont toujours propices à désigner des « minorités ethniques » pour qui l’on aurait les meilleures intentions[37].

Tout nous porte à croire sincèrement qu’il y a possibilité en France d’identifier des dynamiques discriminatoires sans renforcer le recours à des statistiques de la diversité produites par des partenaires ou officines ne présentant aucune garantie solide de scientificité. Nous pensons ici à des Directeurs des Ressources Humaines sommés de produire des chiffres et de chiffrer en toutes circonstances leurs engagements en faveur de la diversité.

Dans toute société, le risque d’une concurrence victimaire tend à s’attiser quand chacun s’affilie, sous la contrainte d’un système, à un collectif identifié et enfermant. Nombre d’observateurs pointent avec raison le risque d’amener des groupes discriminés à faire reconnaitre comme positives les caractéristiques sociales, culturelles et identitaires au nom desquels ils sont discriminés. Notre société n’a rien à gagner à ce que nos concitoyens, soient placés, au nom de la diversité, en compétition et que le facteur « racial » entre en concurrence avec d’autres facteurs (orientation sexuelle, âge, apparence physique..) constitutifs de faits de discrimination.

Grand est le risque de favoriser en France des politiques de discrimination positive aux effets peu connus alors que la force des politiques d’action positive jusqu’ici menées en France tient à la possible reconnaissance d’une identité syncrétique et non la simple énumération de catégories juxtaposées dans une désignation générique en surplomb et polarisante comme « race » ou « ethnicité ».

Rappelons les choses. La diversité est le caractère de ce qui est pluriel. Ce n'est pas un idéal. L'équité, si. Proposons-en une définition : identifier et assumer une différence, autour de nous, qui profite à Toutes et Tous ! Marquons des différences qui profitent à Toutes et Tous !


[1] : Christopher Lasch, La révolte des élites, Flammarion, 1994, p. 21.

[2] : Marcel Gauchet, Comprendre le malheur français, Stock, p. 15.

[3] : Sophie Heine, « La dimension communautarienne du républicanisme français. L’affaire du foulard islamique comme réactivation d’un imaginaire national », Raison publique, n° 9, octobre 2008, pp.59-85.

[4] : Laury Bacro, « Quid de la gestion de la diversité en France ? Le cas des Français originaires des anciennes colonies françaises ».

[5] : Editions Respect Magazine, 2010

[6] : Rokhaya Diallo, « La France a beaucoup à apprendre des États-Unis en matière de diversité », Revue France Amérique, mars 2010.

[7] : Gérard Noiriel, Le venin dans la plume, p. 64. La Découverte.

[8] : François Dubet, Les places et les chances, Paris, Le Seuil, 2010, p. 55.

[9] : Stanley Cavell, 2001, p. 360 cité par Francesco Fistetti, Théories du multiculturalisme, Paris, La découverte, 2009, p. 119.

[10] : Débat entre F. Durpaire et K. Seba, Respect Magazine, 22 août 2010.

[11] : Marcel Gauchet, Comprendre le malheur français, Stock, p. 127.

[12] : Vincent De Gaulejac, « Le sujet manqué », in Nicole Aubert, L’individu hypermoderne, Eres, 2004, p. 132.

[13] : Vincent De Gaulejac, « Le sujet manqué », in Nicole Aubert, L’individu hypermoderne, Paris, Eres, 2004, p. 141.

[14] : Robert Castel, L'insécurité sociale : qu'est-ce qu'être protégé ?, Paris, Editions du Seuil, 2003.

[15] : François Dubet dans son dernier livre, montre bien que le modèle d’une méritocratie qui cherche à offrir aux individus, à tous les individus quel que soit leur âge, leurs sexe, leur métier, leur origine, leur orientation sexuelle et choix de vie… la possibilité de se répartir équitablement à tous les niveaux de la pyramide sociale des positions et des statuts est faussé, en réalité, par l’inégalité des dotations collectives initiales et ce que parvient notamment à offrir ou pas, faute de moyens, l’école de la République.

[16] : M. Giraud, « Diversité. Le piège des mots, la dérive des idées », in Elisabeth Badinter et alii, Le retour de la race. Contre les « statistiques ethniques », Paris, L’Aube, 2009, p.72.

[17] : Raymond Boudon, Déclin de la morale ? Déclin des valeurs ?,Presses Universitaires de France.

[18] : Gilles Lipovetsky et Sébastien Charles, Les temps hypermodernes, Grasset, 2004, p. 94.

[20] : Marcel Gauchet, Comprendre le malheur français, Stock, p. 252.

[21] : Marcel Gauchet, Comprendre le malheur français, Stock, p. 253.

[22] : Felwine Sarr, Habiter le monde. Essai de politique relationnelle, Mémoire d'encrier, p. 21.

[23] : François Dubet, Le travail des sociétés, Le Seuil, 2009.

[24] : E. A. Povinelli, The Cunning of Recognition. Indigenous Alterities and the Making of Australian Multiculturalism, Duke University Press, 2002.

[25] : Daniel Sabbagh, « La remise en cause de l’affirmative action dans l’enseignement supérieur aux Etats-Unis : rupture ou faux-semblant ? », Revue Mouvements, janvier-février 2003, pp. 103-107.

[26] : Walter Benn Michaels, La diversité contre l’égalité, Paris, Raisons d’agir, 2009, p. 46 et p. 47.

[27] : « Je n’agis pas de la même manière selon que je me bats pour améliorer ma position ou pour accroitre mes chances d’y échapper. (…) Une société ne se perçoit pas et n’agit pas sur elle-même de la même manière selon qu’elle opte d’abord pour l’égalité des places ou d’abord pour l’égalité des chances » (François Dubet, Les places et les chances, Le Seuil, 2010, p. 12).

[28] : François Dubet, Le travail des sociétés, Le Seuil, 2009.

[29] : Elizabeth A. Povinelli, The Cunning of Recognition. Indigenous Alterities and the Making of Australian Multiculturalism, Durham, Duke University Press, 2002.

[30] : A. Salia, l’un des juges de la Cour suprême des Etats-Unis, hostile à l’affirmative action, avait imaginé « un système de justice réparatrice (ou correctrice) à points, par lequel on accorderait aux individus un crédit de points donnant droit à des faveurs, en fonction des discriminations subies par le groupe social, le groupe ethnique, le sexe, l’âge auxquels ils appartiennent » (« The Disease as a Cure » cité par Eric Deschavanne, « La discrimination positive face à l’idéal républicain : définition, typologie, historique, arguments », Pour une société de la nouvelle chance, La documentation française, 2005, p. 174).

[31] : Franscesco Fistetti, Théories du multiculturalisme, La découverte, 2009, p. 130.

[32] : François Dubet, Les places et les chances, Le Seuil, 2010.

[33] : Walter Benn Michaels, La diversité contre l’égalité, Raisons d’agir, 2009, p. 15.

[34] : Elena Filippova, « Les recensements comme instrument politique (un bref aperçu des exemples étrangers) », in Elisabeth Badinter et alii, Le retour de la race. Contre les « statistiques ethniques », L’Aube, 2009, p. 87.

[35] : Etienne Balibar, « Uprisings in the banlieues », Lignes, numéro 23, Novembre 2006, cité par Robert Castel, La discrimination négative, Paris, Le Seuil, 2007, p. 94.

[36] : C. W. Von Bergen, B. Soper et T. Foster, « Unintended negative effects of Diversity Management », Public Personnel Management, vol 31, n°2, 2002.

[37] : « Toute politique d’égalité des chances implique la reconnaissance de l’existence de minorités », Yazid Sabeg et Laurence Méhaignerie, Les oubliés de l’égalité des chances, Institut Montaigne, 2004, p.27.

Vers un management intégrant des différences !

5 clés de performance pour vous et vos équipes !

Je suis heureux de partager avec vous quelques convictions de matière de management interculturel.

SIETAR France Bpifrance APM - Association Progrès du Management Germe, le réseau de progrès des managers

Cela recouvre notamment, pour moi et pour beaucoup d'autres, la gestion des personnes talentueuses, la lutte contre les discriminations et la performance des équipes diversifiées !

Vivre est une obligation qui, en liant, libère ! Explorons cela...

1, Un dirigeant, un manager, une personne de bonne volonté... s’étonnent volontairement !

Nous sommes facilement pris dans nos biais cognitifs. Nous devons suspendre notre jugement, distancier notre regard (et savoir nous entourer), expliquer notre mode d'emploi et pratiquer, comme le font aussi Eric Mellet ou evalde Mutabazi, l’optimisme de combat !

Un dirigeant, un manager, une personne de bonne volonté créent volontairement des espaces de parole pour s’entendre dire des choses qu’ils n’ont pas envie d’entendre !

Pour pratiquer un management authentiquement interculturel, première conviction : savoir dire « je ne sais pas » (quand c’est le cas) est davantage une force qu’une faiblesse.

Le risque permanent est d’avoir une confiance instinctive dans notre propre savoir, dans notre première impression supposée bonne, dans notre seul feeling pour juger ou évaluer…

Il nous semble que l’essentiel est d’explorer et non de confirmer trop vite ! Cessons alors de récompenser trop hâtivement, dans le recrutement par exemple, les « bons » élèves, ceux qui ont nos mots, nos références, notre couleur de peau et tous ceux qui nous ressemblent dès le premier regard !

Il est nécessaire, pour cela, de savoir suspendre son jugement et de faire sienne une sorte de posture de détective pour comprendre ce qui, dans les cultures et l’histoire de l’autre, explique un comportement qui, peut-être, nous étonne. Parce que les risques de se recroqueviller – et alors de faire confiance uniquement à nos semblables – sont permanents.

Avec michel SAUQUET, n ous sommes frappés de voir à quel point le « socialement correct » aujourd’hui consiste à être classable, à s’opposer, d’un seul bloc, ou à endosser sagement un rôle lisible et prévisible, alors que nous sommes pour la plupart sujets à toutes ces petites schizophrénies d’une psychologie humaine ordinaire : la rivalité, par exemple, entre le sage que nous croyons être et le fou que nous rêverions de devenir ; entre le canard de ferme et le canard sauvage ; entre l’humble et le fanfaron ; entre l’avide de solitude et l’assoiffé de compagnie ; entre le réaliste et l’utopiste ; entre le croyant et celui qui se débrouille très bien sans Dieu ; entre celui qui rapine et celui qui troque ; entre le courageux et le pleutre ; entre celui qui veut comprendre le monde et celui qui ne veut plus entendre parler de rien et succombe à la tentation de la couette ; entre la part masculine et la part féminine de chaque individu ; entre des convictions politiques et des réflexes qui les contredisent…

Pour aller plus loin : https://www.amazon.fr/livre-manager-management-efficace-intégrant/dp/1719834156

2, Sachez reconnaitre une personne talentueuse !

Pour nous, une personne talentueuse est une personne qui :

 

  • Dépend de son environnement apprenant. Sans lui, elle ne germe pas ;
  • Me bouscule dans mes convictions, qui me challenge sans cesse, veut apprendre... et apprendre à apprendre à vos côtés ;
  • Délivre du résultat (ce n’est pas un éternel espoir ou une diva) ;
  • Est généreuse, écoute activement, transmets des tours de main, partage des bonnes pratiques, rassemble les savoirs, est en interaction avec d’autres talents ;
  • Est souvent hypersensible et a le coup d’œil sur ce qui émerge dans la société, dans l'entreprise ;
  • Est énergivore... et par son art du questionnement me touche à l’essentiel ;
  • Qui a le courage de me dire des choses qui me dérangent ;
  • Est chronophage, qui ouvre des portes ;
  • Est ressourçante, amène à voir les projets, la stratégie sous un autre angle, invite à se réinventer ;
  • Est agile et est capable de se réinventer, de s’ajuster aux autres ;
  • Est volatile.Une personne talentueuse aide à voir le monde tel qu’il est et non tel que l’on voudrait qu’il soit…Elle amène à comprendre qu’une innovation n’est pas forcément une idée nouvelle de plus mais une vieille certitude de moins !La personne talentueuse invite à se convaincre qu’une réussite arrive si on essaye une fois de plus que le nombre d’échecs.Pour aller plus loin : https://www.youtube.com/watch?v=NbuVpjb5l1Y&t=12s

 

3, Protégez les talents qui sont souvent mis à mal par les PHs neutres !

Les Phs neutres n’ont pas de personnalité propre, n’existent que dans le groupe et chassent en meute. Ils marchent sur les traces d’un autre, de leur chef direct le plus souvent et consacrent des phénomènes de "rivalité mimétique". Quand deux groupes se craignent, ils n’entrent pas en confrontation directe de peur de s’anéantir et vont choisir un bouc émissaire et c’est souvent l’atypique, le pas comme nous, donc la personne talentueuse qui trinque. Une dirigeante digne de ce nom est celle qui protège celle ou celui qui n’est pas dans les clous ! Relisons René Girard : « La violence et le sacré » ! 

Pour aller plus loin : https://www.youtube.com/watch?v=E5tGSqssk70&t=26s

4, Associez des pépites (qui distancient notre perception) et des pépinières (on fait grandir des personnes de l’intérieur).Créer des espaces apprenants pluriels !

La crise de vocation managériale que nous traversons amplifie la nécessaire diversité des modèles d’organisation et des formes d’engagement au sein d’une même entreprise. Cette crise consacre le fait que l’on ne verra pas le retour du modèle hiérarchique classique hiérarchique pyramidale.

Cette crise oblige à faire coexister les formes de motivation et les modèles d’organisation.

5 modèles d’organisation possibles… Loyauté, employabilité, communauté de métiers, plateforme, archipel…

Pour aller plus loin : https://www.youtube.com/watch?v=fvNAW4sFo94

5, Préférez l’équité (qui marque des différences qui profitent à tous) à l’égalitarisme (qui bannit le mérite et enferme dans le nivellement).

Car le risque est grand de voir grandir le nombre de ceux qui relaient de fausses rumeurs, se dédouanent de leurs responsabilités… et préfèreront toujours l’égalitarisme ! 

Edgar Morin a cette belle formule : « Agis en sorte qu’autrui puisse augmenter le nombre de choix possibles. » Précisément, la rencontre interculturelle consiste à savoir éprouver, avec sincérité, ce que nous avons à construire ensemble.

En ce sens, s’inspirant de Claude Lévi-Strauss, on peut écrire que l’important n’est pas d’ouvrir les autres à la Raison, mais de s’ouvrir patiemment aux bonnes raisons des autres. Franck Pruvost Frederic Aunis FuturGo - Cabinet d'Accompagnement et de Conseil

Une vie menée en interculturaliste est une vie où l’on questionne l’autre, où l’on se questionne et où, surtout peut-être, on se laisse questionner pour s’entendre dire des choses pourtant justes que l’on n’a pas forcément envie d’entendre, mais qui nous sont utiles. Benjamin Pelletier

L’on peut admettre avec Paul Ricœur qu’« autre est celui qui donne et celui qui reçoit ; autre celui qui reçoit et celui qui rend ». Cet enchaînement – qui rend libre – caractérise la rencontre interculturelle. Vivre est une obligation qui, en liant, libère !

Pour aller plus loin :

Des ressources complémentaires en accès libre :

PS I : Une ressource sur les profils atypiques et talents:

https://www.youtube.com/watch?v=E5tGSqssk70

PS II : Un autre ensemble de ressources sur le management :

https://philippepierre.com/medias/

PS III : Pour bien recruter :

https://soundcloud.com/impulseur/podcast-impulseur-philippe-pierre-1

PS IV : Pour bien manager

https://www.tipping-point.fr/philippe-pierre/

 

La richesse de l'atypisme

Par Philippe Pierre

Qui s'intéresse au management interculturel s'intéresse à la place de l'étranger, de l'inconnu, du non prévisible dans nos existences.

L’écart des atypiques dérange parce qu’il invite à la critique constructive. Toujours.

La personne atypique souligne des dysfonctionnements à résoudre, des manques à combler, des innovations à faire… Il conduit donc les dirigeants à prendre le risque de reconnaître, par exemple, que, dans leur organisation, des étrangers, des « pas comme nous » s’intègrent mal, sont victimes de discriminations non intentionnelles, que des personnels méritants sont injustement sanctionnés et victimes de stress, de violence symbolique au travail. La « valeur » de ceux qui font l'entreprise se mesurerait alors à leur capacité à concilier l’acquis d’expériences professionnelles et humaines éloignées du centre organisationnel. À se méfier des conformismes.

La personne atypique doit en faire plus que les autres pour être acceptée et combler l’écart entre stéréotypes propres aux minorités et situation majoritaire des hommes cinquantenaires, habitants des villes, « normaux » qui dominent et constituent implicitement un étalon.

La difficulté de définir le talent vient de ce qu’il est une qualité « purement différentielle ». Pour nous, il est toujours dépendant du contexte (apprenant) qui le fait germer ou le racornit, qui l’amène ou pas à oser être audacieux.

Le sociologue Norbert Alter, dans son livre La force de la différence, parle, à cet égard, de trois « fées » : les parents, l’être aimé ou un représentant d’une institution (capitaine de sport collectif, enseignant, éducateur…). Les personnes atypiques dont il parle ont pu recevoir de A (les « fées ») et rendent à C ce que d’autres ont pu manifester généreusement pour elles sur d’autres scènes que celle de la profession.

Travail et sphères personnelles entrent alors en correspondance dans une réciprocité que l’on nommera élargie. Les fées assurent la transmission d’un récit capable de nous aider à déchiffrer ce monde mystérieux et multiculturel dans lequel nous grandissons.

Ces fées entretiennent une capacité à entrer dans la relation à l’autre et à analyser ce qui se joue entre lui et soi, ce qui se forme ou se transforme dans cette rencontre, ce que l’on nommera une compétence réflexive à l’œuvre. Il s’agit bien de faire advenir à la conscience, par une pratique d’étonnement volontaire, ce que l’élève, le plus jeune, le moins expérimenté… a déjà en lui mais ignore encore.

Un personne atypique renvoie à l’équité : identifier et assumer des différences autour de nous qui profitent à tous et ne pas céder au risque de nivellement qui consiste à donner la même chose à chacun quels que soient les efforts consentis ou les mérites constatés. Par envie de paix sociale. Par manque de courage.

Pour aller plus loin :

- Norbert Alter, La force de la différence. Itinéraires de patrons atypiques.

- Et la découverte ci-dessous de son livre Sans place ni classe...

Bonus : Une note de lecture sur son livre Sans classe, ni place. L'improbable histoire d'un garçon venu de nulle part !  

 

Une entreprise apprenante et intégrante, c'est quoi ?

 

Un grand merci à Françoise Carboulec et au Club APM Finistère Ponant ! 

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