Mes trésors
28/09/2024D ans ce texte, je m'attache à préciser ce que j'entends par interculturel.
Ce que recouvre le champ, ce à quoi invite cette pratique vivante du questionnement et pourquoi il convient de lier cultures et identités quand on explore les processus d'interculturalité.
Pourquoi aussi l'interculturalisme peut être présenté comme un ensemble normatif visant à fonder une éthique de la reliance.
B elle lecture !
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15 CLES POUR REPENSER L'INTERCULTUREL
Le passage du « Tu me gènes » vers « Nous construisons ensemble » puis « Tu m’apportes » est une perpétuelle conquête humaine.
Un enjeu authentiquement interculturel.
Interculturel… qu’est-ce à dire précisément ?
Dans ce texte, nous souhaitons introduire au vocabulaire et à quelques enjeux interculturels majeurs pour notre société.
Une discipline « interculturelle » peine encore à se constituer[1].
Une « industrie » de l’interculturel existe. A destination des entreprises et organisations, animée par des consultants, coachs ou formateurs, elle se nourrit de formules assertives sur la nécessité de bien « communiquer ». Elle offre des « recettes » et des « règles reflexes » de savoir-vivre en affaires qui, le plus souvent, sont bassement utilitaires, « totalisantes » et donc peu utiles pour sortir des stériles comparaisons. De pays à pays.
L’ambition doit être plus haute.
Comment aider une personne exilée à recouvrer sa sécurité psychologique, sinon sa dignité ? Comment une personne est-elle capable de communiquer quand les référentiels de sens de ses interlocuteurs divergent ? Comment établir des modes de management efficaces dans les pays étrangers d'implantation d’une PME innovante ? Comment former les personnels expatriés et leurs familles à une expérience internationale ? Comment négocier avec des partenaires d’une autre région ? Comment prouver que la « diversité » améliore la performance des équipes de travail ? Est-ce si sûr ? Une seule solution, la discrimination positive ? Vraiment ?
Qu’y a-t-il de transversal ou de commun à ces questionnements qui évoquent franchissement de frontières (mentales, psychologiques, sociales, physiques…), sens de la justice ou quête de performance et dimensions culturelles à l’œuvre ?
La « connaissance » de la culture de l'autre, au sens de la détection d’un code culturel secret, rendant lisible quelques traits descriptifs, s'avère aujourd’hui inapte à rendre compte de la création interculturelle dans des univers globalisés[2].
Il y a urgence, selon nous, à mieux définir le terme d’interculturel comme terme substantivé qui renvoie à une réalité tridimensionnelle[3] :
- L’interculturalité comme description des valeurs et pratiques[4] de sociétés d’archipels ;
- L’interculturation comme méthode scientifique qui cherche à comprendre une « anthropologie du divers » [5] ;
- L’interculturalisme comme projet éthique et politique vers « l'avènement d'un état humain jugé préférable »[6] ;
- Avec l’interculturalité, on explorera la réalité, par exemple, de l’accueil et l’intégration des personnes migrantes, les effets humains des rapprochements d’organisation comme un rachat d’entreprise où l’on continue de s’appeler les « ex de »… des années plus tard, les trajectoires scolaires ou linguistiques d’enfants d’expatriés...
- Avec l’interculturation, on développera, par exemple, des recherches sur les stratégies identitaires, les compétences interculturelles, l’acculturation psychologique, la négociation socio-culturelle, l’intersectionnalité….
- Avec l’interculturalisme, on renverra, par exemple, à un engagement antiraciste d'une organisation de défense des droits des étrangers, aux valeurs de solidarité supposées « universelles » de pratiques associatives, à la question de savoir si la République est juste dans ses principes mais inégalitaire dans ses pratiques...
L’interculturel invite à voir le monde comme un mur de pierres sèches où « chaque élément vaut pour lui-même et pourtant par rapport aux autres »[7].
La notion de culture en sciences humaines sociales souffre d’une absence de consensus sur sa juste définition ; elle pâtit également de l’absence de méthodes fiables permettant de mesurer ses effets autour de supposées « valeurs ».
Nous défendons depuis longtemps l’utilisation, dans les champs de l’interculturel, de la notion d’identité qui permet d’échapper à certains pièges d’une explication causale et dualiste[8]. Et qui évite de consacrer trop vite la domination d’un registre stato-national des appartenances ou l’idée de « programmation mentale » des individus[9].
Ce texte vise à explorer pourquoi l’interculturel devrait de moins en moins être appréhendée à partir de constructions a priori (nécessitant explication au travers d’une appareillage hypothético-déductif) mais de plus en plus comme des écarts vécus, des « disjonctions » entre la signification et l’intention de l’acteur, des tiraillements et des dissonances (nécessitant compréhension et même traduction) qui en appellent aux identités et sans l’examen desquelles on ne peut réellement juger d’une culture.
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[1] : Pour beaucoup, l’interculturel est davantage un mode d’interrogation particulier qu’une discipline théorique instituée au sein d’un champ et susceptible d’avoir fait naitre des normes de validation uniques. Moins une construction doctrinale en soi, aux expressions très diverses, qu’un « ensemble de propositions formant une base d’accord à partir de laquelle se développe une tradition de recherche » (Martine Abdallah-Preitceille et Louis Porcher, Diagonales de la communication interculturelle, Anthropos, 1999, p. 52). Pour l’examiner, nous proposons de retenir ici six critères qui fonderaient une discipline scientifique comme mode de connaissance systématique : que cette science ait un objet « propre », des théories spécifiques, une tradition méthodologique reconnue (même si les disciplines en sciences sociales ne prétendent pas toujours posséder une méthodologie « spécifique»), des débouchés scolaires pour ceux qui s’y adonnent avec des moyens de diffusion de revues, de colloques ainsi que des postes universitaires identifiés et liées à cette science.
[2] : Michel Sauquet et Martin Vielajus, L’intelligence interculturelle, ECLM, 2014.
[3] : La question de « l’action » et de jugements de fait relatifs à l’évolution de nos sociétés de « modernité tardive » est plutôt du côté de l’interculturalité, la question de « la connaissance » et des « grilles d’analyse » est davantage du côté de l’interculturation alors que la question de « l’engagement » ou de « la militance » est clairement du côté de l’interculturalisme (jugements de valeur).
[4] : Patrick Denoux, « Pour en finir avec l’interculturel polymorphe : l’interculturation, un concept générique », Ghazi Chakroun et Elaine Costa-Fernandez, Cognition sociale, formes d'expression et interculturalité, 2017, p. 4.
[5] : Martine Abdallah-Pretceille, « La pédagogie interculturelle : entre multiculturalisme et universalisme », Recherches en éducation, 9, 2010.
[6] : Carmel Camilleri, « La communication dans la perspective interculturelle », Chocs de cultures, L'Harmattan, 1989, p. 389.
[7] : Gilles Deleuze, Critique et clinique, Editions de Minuit, 1993, p. 110-111.
[8] : Philippe Pierre, La socialisation des cadres internationaux dans l’entreprise mondialisée. L’exemple d’un groupe pétrolier français, Thèse de doctorat en sociologie de l’IEP de Paris, 2000.
[9] : Si chaque société développe puissamment des cadres culturels propres à un contexte national et qui se « révèlent » notamment en contextes de travail, cela n’élimine pas d’autres cadres structurants ou d’autres variables modératrices. Il paraît temps de rapprocher la culture d’autre chose que des représentations collectives, des traits culturels, sorte d'"universaux" dont la base ne serait ni les individus, ni les groupes sociaux, ni leurs rapports mutuels.
Six ouvrages à découvrir et qui témoignent de ma passion pour l'interculturel sous différents angles :
• Dominique MARTIN, Jean Luc METZGER et Philippe PIERRE, Les métamorphoses du monde. Sociologie de la mondialisation, Editions du Seuil, 2003.
• Evalde MUTABAZI et Philippe PIERRE, Pour un management interculturel. De la diversité à la reconnaissance en entreprise, L’Harmattan, 2008.
• Pierre-Robert CLOET et Philippe PIERRE, L’Homme mondialisé. Identités en archipel de managers mobiles, L’Harmattan, 2017.
• Jean-François CHANLAT et Philippe PIERRE, Management interculturel. Evolution, tendances et critiques, EMS, 2018.
• Philippe PIERRE et Michel SAUQUET, L'Archipel humain. Vivre la rencontre interculturelle, ECLM, 2022.
. Philippe PIERRE et Michel SAUQUET, Abécédaire de l'interculturel. 50 mots à prendre en compte par temps d'intolérance, ECLM, 2024.
Des ressources pour mieux connaitre nos travaux :
- "L'Homme mondialisé aujourd'hui" avec Pierre-Robert Cloet
- "Cadres mobiles, immobiles et "ubiquistes"..." avec Laura Gherardi
- "Du droit de l’Homme et de la société à être pluriels" avec Michel Sauquet
- "Trois niveaux de formation à l'interculturel..."
- A l'école de l'interculturel avec Aude Seurrat
- "Ouvrier de jadis, cadre immigré et migrant transnational d’aujourd’hui..." avec Houssaine Oussiali