Gestion des entreprises, nouvelles compétences sociales et défis interculturels
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19/12/2018Encyclopédie de la formation
La mondialisation ne se réduit pas à la globalisation des flux économiques et financiers. L’intensification des voyages, des migrations comme des mobilités intra-organisationnelles confère une version inédite aux rapports de production ainsi notamment qu’aux formes d’appartenance à des collectifs de travail. Les programmes de formation et de développement des managers en sont transformés.
Un imaginaire valorisé de la mobilité se développe, en effet, dans des entreprises qui se déclarent dorénavant de plus en plus en « réseau » . Pour les cadres et dirigeants, qui vivent un accroissement des distances parcourues, être mobile est censé permettre une employabilité accrue. Pour ces derniers, mais différemment selon les positions occupées, leur carrière s’apparente donc à un processus jalonné d’étapes clés, à l’international, qui représente autant de seuils dans l’ascension hiérarchique. Partout, des formes traditionnelles de mobilités géographiques qui s’exercent en famille, pour quatre à cinq ans, sont concurrencées par des pratiques d’impatriation ou de quasi-mobilité (par exemple, le commuting en Europe avec des retours possibles en train ou en avion le week-end au foyer, des déplacements frontaliers faisant la navette quotidienne entre le domicile dans un pays et le bureau dans un autre). Pour les entreprises, il s’agit de bâtir des formations de qualité, de réduire a minima les coûts de transaction induits par ces mobilités, les coûts liés aux « distances culturelles » dans la préparation et le travail de salariés mobiles géographiquement.
Les cadres et dirigeants mobiles sont contraints alors de se déplacer d’un monde social et professionnel à un autre et peuvent être confrontés à une pluralité d’ordres normatifs et de logiques de reconnaissance de leurs compétences indépendantes les unes des autres (culture d’entreprise, culture du pays d’accueil, culture de l’établissement d’accueil, cultures d’origines..). A cette nouvelle dimension à prendre en compte, correspond un nouveau type de manager : le « manager interculturel » sachant justement analyser et composer avec les différents paramètres propres à chacune des cultures supposées présentes dans l’interaction au travail. Dans les entreprises « mondialisées », la prolifération de l’usage de la notion de compétence interculturelle témoigne bien de ces transformations structurelles du monde du travail : accroissement des mobilités géographiques ou à défaut des télécommunications à distance, travail dans plusieurs langues pour certains cadres et dirigeants, carrières dans plusieurs entreprises elles-mêmes soumises à des rapprochements (fusions, acquisitions, joint-ventures…). Les programmes de formation et de développement des compétences doivent de plus en plus prendre en compte la double modification du cadre spatio-temporel de ces managers mobiles avec une interactivité supposée des échanges de façon synchrone ou asynchrone (outils de messagerie tels que le chat ou le forum) et du cadre structurel avec de nouvelles formes d’accès au savoir (approche hypertextuelle).
A minima, une compétence interculturelle peut être définie « comme l’aptitude à communiquer avec succès, avec des personnes procédant d’autres cultures » . Comment dès lors former et faire travailler ensemble des salariés à la frontière de leur(s) culture(s) ? Comment comprendre, par exemple, cette capacité à relier culture d’origine, culture d’entreprise et culture professionnelle de cet expert-comptable anglais, né en Inde, marié à une indonésienne, et recruté aux Etats-Unis pour le compte de la filiale d’un groupe industriel d’origine française qui se définit pourtant comme « mondial » ?
Nous nous intéressons principalement, dans cette contribution, à la formation professionnelle de celles et ceux qui se retrouvent par conséquent en position de médiateur culturel entre leurs enracinements culturels d’une part, la culture prescrite de l’entreprise d’autre part et, finalement, celle(s) de leur(s) collaborateur(s). Comment donner contours à un ensemble de compétences interculturelles permettant de résister à un prétendu « choc culturel » et pouvoir articuler les « autres de sa personne » selon un critère d’adaptabilité au contexte culturel.
Pour y parvenir, nous analyserons d’abord brièvement certaines des dynamiques à l’œuvre au sein des notions de compétence et de culture. La culture n’est pas un espace de sens unifié et hiérarchisé. C’est aussi une compétence et une capacité d’action, le produit d’une interaction humaine et d’effets imprévisibles de situation. Puis, dans un second temps, nous verrons pourquoi il n’existe, à proprement parler, aucune compétence interculturelle mais que derrière ce vocable quelque chose d’autre nous fait signe. Une compétence d’ordre collectif qui ne peut pas être exercée par une personne seule et qui fait que l’autre n’est pas le simple produit de sa culture mais qu’il devient aussi co-constructeur des systèmes de règles culturels qui mettent en forme les situations de travail. Tout programme de formation doit relever ces enjeux.